Tunisie – La décentralisation implique un grand débat national

Tunisie – La décentralisation implique un grand débat national
Depuis 2011, les tunisiens ont vécu deux périodes « politiques », celle de la Tunisie du repli (2011-2014), puis celle de la Tunisie du consensus amorphe (2014-2017…). Il faut espérer que l’étape à venir puisse apporter des réponses à la question de la « Tunisie égalitaire »,celle des régions, des communes, de la décentralisation…
Le Projet de Code des Collectivités Locales a été élaboré depuis près de 3 ans par le Gouvernement et soumis à l’ARP début Juin 2017. Il comporte 382 articles dont 19 relatifs aux dispositions transitoires et finales. Il a fallu 17 versions pour présenter la mouture définitive, preuve s’il en est, qu’il a été régi par une absence de vision sur les grands principes relatifs à la décentralisation et à l’exercice de la démocratie locale. Les différentes versions ont vu se succéder des replâtrages et des ajouts « pour contenter tout le monde ». Résultat : le document est faible, confus, abscons ; il ne permet pas d’engager un processus de décentralisation.

  • Les trois niveaux de décentralisation distingués ne sont pas définis du point de vue du transfert des compétences et des moyens ; comment s’effectue le partage des responsabilités entre eux et avec l’Etat?
  • Les trois niveaux se voient attribuer trois types de compétences, propres, partagées et déléguées. On peut considérer que ce système a l’avantage de la souplesse, mais il est inapplicable. Le projet de code ne définit pas qui fait quoi.
  • Le statut des personnels responsables n’est pas indiqué.
  • Un point positif : l’article 124 stipule que les ressources propres devront être majoritaires ; c’est un repère positif et important ; mais l’essentiel reste à faire pour définir les mécanismes. Il y a bien d’autres éléments positifs, mais ils sont noyés dans le magma des 382 articles
  • Pourquoi baptiser « région » un espace qui s’appelle en même temps « gouvernorat » quand on parle de déconcentration ?

La conclusion s’impose d’elle-même : Le discours est théorique, il comporte peu d’éléments se rapportant aux spécificités des problématiques tunisiennes. L’exercice est donc à refaire, car il est anesthésiant, insuffisant, incompréhensiblepour les lecteurs les plus chevronnés et surtout, contradictoire sur maints aspects.
Ce code est enfin hasardeux, car il laisse place à toutes les ambiguïtés, sous prétexte que l’Etat va transférer ses pouvoirs aux collectivités territoriales et que son autorité sur les régionsva s’affaiblir. Cette question est fondamentale : la décentralisation aobligatoirement pour cadre l’unité nationale et l’indivisibilité du pays, et nulle collectivité ou autre entité ne doit pouvoir prétendre entamer l’autorité de l’Etat. Il y a les lois de la République auxquelles tous doivent se soumettre car ce sont les lois voulues et votées par le peuple. Il ne faut donc pas se tromper ni céder aux tentations de la gabegie.
En un mot, ce texte est absolument indéfendable, car il a été écrit dans la précipitation et dans la quasi-absence de sensibilisation de la population.

Il faut une LOI CADRE de 30 à 40 articles et non pas un fouillis de 382 articles

Un code rassemble l’ensemble des textes législatifs et réglementaires concernant un domaine.On ne rédige pas un code avant de faire les lois ; on fait des lois et on les regroupe dans un code.
S’agissant de la décentralisation en Tunisie, on n’en est pas encore au stade législatif ; on en est même assez loin, aussi bien pour ce qui touche à la maturité de la réflexion des responsables qu’en ce qui concerne l’implication des citoyens. Il est alors nécessaire de procéder par étapes. Nous en identifions trois:

  • Première étape: un projet de loi définissant les principes et orientations générales en quelques dizaines d’articles. Il s’agit d’un texte fort et bref qui doit être d’une lecture facile afin de servir de support à un vaste débat national. On peut appeler cela un projet de loi-cadre ou de loi d’orientation.Ce texte devra être coiffé d’un exposé des motifs de nature éminemment politique. Le texte lui-même évoquera 5 à 6 questions majeures concernant le partage des pouvoirs et des compétences, les ressources humaines, les transferts financiers de l’Etat et les revenus des impôts locaux, le rôle des assemblées, celui des gouverneurs, le statut des fonctionnaires territoriaux etc.La responsabilité de ce texte incombe au gouvernement (délai : 3 mois).
  • Deuxième étape: Le débat sur cette question majeure ne peut pas se limiter à l’Assemblée des Représentants du Peuple.Il est nécessaire de lancerd’abord un Grand Débat National qui devra faire l’objet d’un effort de vulgarisation et de communication (délai :4 mois). Cela veut dire que le document de 4 pages devra être édité à un million d’exemplaire et faire l’objet d’une vaste concertation pour démontrer que l’Etat consulte les citoyens et que nous sommes réellement entrés de plain-pied dans l’ère de la démocratie participative et non pas seulement élective. Cette action ancrera mieux l’action du gouvernement dans les régions et atténuera grandement les effets des contestations locales par le dialogue.

En un mot, la concertation ne doit pas se suffire à des réunions ou colloques au cours desquels les « spécialistes » discourent devant un parterre qui pose quelques questions policées, puis tout le monde rentre chez soi. La concertation doit se faire à travers une réelle participation de la société civile. Pour cela, le vecteur, c’est un millier de personnes-ressources qui croient au projet de décentralisation et qui le vulgarisent dans les communes et les quartiers, qui relèvent les imperfections et les propositions d’amélioration, qui les traduisent de manière claire et raisonnable.

  • Troisième étape: Discussion et adoption de la Loi d’Orientation par l’ARP (délai : 2 mois).
    La loi d’orientation définira les principes et les options principales en matière de décentralisation ; elle sera suivie de plusieurs lois spécialisées pour préciser les conditions de la mise en œuvre. Contrairement aux affirmations pessimistes, les bases de la décentralisation pourront être mises en place en une dizaine d’années. Le reste sera consacré à des ajustements dans le cadre des combats politiques quotidiens…
    De façon plus spécifique, on peut distinguer deux types d’enjeux en matière de décentralisation :
  • L’enjeu du développement régional: l’Etat arrive aujourd’hui au bout de ses possibilités en matière de planification, d’exécution et de financement des projets régionaux et locaux. Il est bloqué devant l’escalade des revendications locales, certes compréhensibles, mais devenues ingérables. Pour leur part, les populations des régions intérieuressont coincées dans cette même démarche contestataire et frondeuse, qui se justifie par les faibles moyens d’expression et d’action dont elles disposent. La solution réside précisément dans la participation« à la source », dans le partage des responsabilités et des coûts, l’appui de l’Etat aux collectivités, l’implication de celles-ci dans la perception de l’impôt, dans l’élaboration et le financement des projets locaux, dans la prise de décision pour les projets qui les concernent en associant les populations locales.
  • L’enjeu de la gouvernance des métropoles, en particulier Tunis. Là aussi, l’Etat ne pourra plus TOUT réaliser. Tant que la question consistait à exécuter des projets d’infrastructures et d’équipements, l’Etat s’est, grosso modo montré en mesure de faire. Aujourd’hui, il s’agit de questions plus complexes, où les décisions doivent faire intervenir tous les partenaires : Etat, élus, société civile : Comment conforter les rôles de Sfax et Sousse dans leurs fonctions de métropoles régionales ? Comment faire de Tunis une métropole culturelle ? Quelle spécificité conférer au centre-ville? Comment y organiser les transports, la logistique, l’inter-modalité ? Comment y impulser les activités de haut niveau pour que la capitale puisse tenir son rôle de métropole méditerranéenne ? Comment y assurer la qualité urbaine (comprenant aussi bien les fonctions urbaines que l’esthétique) ? Comment gérer les quartiers populaires périphériques (Ettadhamen, Raoued) et les mettre à niveau ?

C’est dans le cadre de ces enjeux que peut et doit s’exercer le débat démocratique entre Etat et assemblées régionales et locales élues.C’est cela la décentralisation.
source : www.leaders.com.tn

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