IPC 2021 POUR L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE : DANS UN CONTEXTE DE TURBULENCES DÉMOCRATIQUES, UNE CORRUPTION PROFONDÉMENT ANCRÉE EXACERBE LES MENACES PESANT SUR LES LIBERTÉS
Avec un score moyen de 33 sur 100, l’Afrique subsaharienne ne montre aucune amélioration significative dans l’Indice de perception de la corruption (IPC) 2021. Les progrès réalisés par une poignée de pays sont éclipsés par le recul ou la stagnation d’autres pays et par la mauvaise performance globale de la région, puisque 44 des 49 pays évalués dans l’indice obtiennent encore un score inférieur à 50.
Avec la pandémie de COVID-19 qui a durement frappé le continent jusqu’alors moins touché, à laquelle s’ajoutent les conflits armés prolongés et les menaces terroristes croissantes, 2021 a été une année tumultueuse pour l’Afrique subsaharienne. Ces tendances inquiétantes exacerbent les graves problèmes de corruption qui existaient déjà depuis longtemps.
Pour éviter que la corruption n’apparaisse au grand jour, les gouvernements de la région ont limité l’information et réprimé les voix indépendantes qui dénoncent les abus de pouvoir.
Sur un continent où la corruption pille de précieuses ressources naturelles et entrave l’accès de millions de personnes aux services publics, les résultats d’une décennie de stagnation mis en évidence par l’Indice de perception de la corruption (IPC) 2021 ne pourraient pas être plus dévastateurs.
Les meilleurs résultats et les résultats moins bons
Les Seychelles (score dans l’IPC : 70) figurent en tête du classement de l’IPC 2021, suivies de loin par le Cap-Vert (58) et le Botswana (55).
Pour les pays situés au bas du classement, tels que la Guinée équatoriale (17), la Somalie (13) et le Soudan du Sud (11), la voie à suivre pour sortir de la corruption endémique reste ardue.
APERÇU RÉGIONAL
Les gains doivent être durables
La performance des Seychelles (70 – soit une hausse de 18 points depuis 2012) a progressé de façon régulière sur l’IPC ces dix dernières années. Au cours de cette période, des réformes importantes ont été menées sur le plan du gouvernement ouvert et de la lutte contre la corruption.
Ces acquis doivent être davantage consolidés. Par exemple, l’Assemblée nationale des Seychelles a récemment voté la suppression de l’obligation pour les conjoints et les membres de la famille des hauts fonctionnaires de déclarer leurs actifs, créant ainsi une nouvelle faille.
Les Seychelles doivent également s’attaquer au secret bancaire qui a fait du pays une destination attrayante pour l’argent sale du monde entier.
DES AMÉLIORATIONS SIGNIFICATIVES
L’Angola (29 – soit une hausse de 7 points depuis 2012) enregistre une nette amélioration sur l’IPC après l’élection du Président João Lourenço en 2017, qui a pris des mesures pour mettre un coup d’arrêt à la corruption. Les autorités ont mené des enquêtes de corruption très médiatisées sur l’ancienne famille au pouvoir. Une de ces enquêtes concernait la fille de l’ancien président et ex-dirigeante de l’entreprise pétrolière d’État Sonangol, Isabel Dos Santos – qui a fait l’objet d’une « fuite » de Luanda Leaks et a récemment été sanctionnée par le gouvernement américain pour « corruption grave ».
Cependant, les enquêtes sur d’autres cas sont rares, ce qui laisse sous-entendre qu’il existerait une justice sélective. Dans un sondage de 2019, 39 % des Angolais ont déclaré que le président se servait de la lutte contre la corruption pour éliminer ses adversaires politiques. La majorité a également déclaré que ceux qui dénoncent la corruption encourent des représailles.
Selon la même enquête, la majorité pense également que ceux qui dénoncent la corruption risquent des représailles. Les inquiétudes de la population se sont avérées justifiées lorsqu’en juin dernier, les autorités ont accusé un journaliste “d’abus de la liberté de la presse” après avoir dénoncé la corruption dans l’une des provinces du pays.
Pays à surveiller : Sénégal
La performance du Sénégal (43) dans l’IPC s’est considérablement améliorée (partant de 36) au cours de la dernière décennie, gagnant 9 points entre 2012 et 2016. Les avancées au cours de cette période se consistent en la création de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) et l’adoption de la loi sur la déclaration de patrimoine, entre autres réformes. Mais les progrès se sont interrompus, le score du Sénégal ayant baissé de 2 points entre 2020 et 2021.
En 2020, le pays a adopté une stratégie nationale de lutte contre la corruption, mais ses perspectives ne sont pas claires, car des défis subsistent sur le plan des ressources et de la mise en œuvre. Ces dernières années, le travail des institutions de lutte contre la corruption – comme l’OFNAC – a manqué de rigueur, malgré de nombreuses dénonciations par la population de la mauvaise gestion des fonds publics et des ressources naturelles.
L’application inégale de la législation anti-corruption est une préoccupation majeure.
En 2019, des détails jusqu’alors inconnus ont fait surface autour de la vente en 2012 de droits de concession pour deux blocs pétroliers offshore, mettant en cause le président Macky Sall et son frère Aliou Sall dans une possible affaire de corruption internationale. Pour répondre à la pression publique, Aliou Sall a démissionné de ses fonctions publiques, mais a rejeté les allégations selon lesquelles il aurait reçu des paiements secrets. Finalement, l’enquête sur son rôle dans cette affaire a été abandonnée. Transparency International a demandé l’ouverture d’enquêtes dans six pays qui ont compétence sur cette affaire.
En 2020, Freedom House a rétrogradé la note du Sénégal de « libre » à « partiellement libre », dénonçant l’engagement de poursuites pour corruption à des fins politiques contre des figures de l’opposition.
Si les médias fonctionnent avec une relative liberté, les lois sur la diffamation limitent les libertés civiles. Une enquête récente a révélé qu’une majorité de Sénégalais pensent que la corruption a augmenté, mais beaucoup craignent des représailles en cas de dénonciation.
Photo : Sylvain Cherkaoui/REUTERS
L’impunité aggrave la situation
L’un des pays les plus performants de la région, le Botswana (55) a atteint un niveau historiquement bas en 2021, enregistrant une baisse significative par rapport à son score de 2012 (65). Ce résultat corrobore les conclusions de l’enquête du Baromètre mondial de la corruption 2019 de Transparency International, qui a montré que la majorité des Botswanais pensaient que la corruption avait augmenté dans leur pays. Les préoccupations relatives à l’impunité – comme dans l’affaire du pillage présumé du Fonds national du pétrole qui a mis en cause de hauts responsables gouvernementaux – soulignent la nécessité d’accroître la responsabilité en matière de corruption de haut niveau dans la plus ancienne démocratie du continent.
Le Libéria (29), qui a perdu 12 points depuis 2012 (41), marque un recul important dans l’IPC 2021. Les allégations de corruption non résolues et une culture persistante de l’impunité sont parmi les principales sources de préoccupation. L’insuffisance des ressources des institutions de lutte contre la corruption et la faiblesse du système judiciaire continuent de saper la lutte contre la corruption dans cette nation d’Afrique de l’Ouest.
DES RECULS SIGNIFICATIFS
Redevabilité : des hauts et des bas
L’IPC 2021 montre que 80 % des pays de la région ont stagné au cours des dix dernières années.
L’un des principaux dangers pour le progrès est la grande corruption – c’est-à-dire la corruption systémique impliquant les hauts fonctionnaires et d’importantes sommes d’argent, qui s’accompagne souvent de graves violations des droits humains. Et pourtant, l’impunité est la norme plutôt que l’exception.
Pendant ce temps, le continent perd des dizaines de milliards de dollars chaque année en raison des fuites de capitaux.
Pays à surveiller : Mozambique
Le Mozambique (26) a reculé de 5 points sur l’IPC depuis 2012 (31). Le pays est toujours aux prises avec les retombées du scandale de corruption de la « dette cachée », qui avait été révélé en 2016.
Ce système aurait permis à de hauts fonctionnaires mozambicains de conspirer avec des banquiers en Europe et des gens d’affaires basés au Moyen-Orient pour souscrire un emprunt de 2 milliards de dollars au nom du pays. Les fonds auraient été détournés, notamment par le biais de pots-de-vin et de commissions occultes.
La crise financière qui a suivi a plongé l’État mozambicain dans l’impossibilité de remplir ses obligations, comme la protection des droits des personnes déplacées par le conflit au Cabo Delgado. Les personnes accusées d’être derrière le montage de cette dette cachée ont été jugées fin 2021.
Le scandale et ses conséquences illustrent les dangers de l’excès de pouvoir de l’exécutif et l’absence d’équilibre des pouvoirs efficace – vis-à-vis du pouvoir législatif en particulier. Cette affaire judiciaire, très médiatisée, est porteuse d’espoir, mais elle sert aussi de mise à l’épreuve de la redevabilité.
Photo : John Wessels/AFP
L’année dernière, l’enquête des Pandora Papers a révélé que près de 50 personnalités politiques et au moins cinq chefs d’État africains, actuels ou anciens – dont certains s’étaient auparavant présentés comme des champions de la lutte contre la corruption – abusaient du système financier mondial et transféraient secrètement leur fortune à l’étranger.
Au Nigéria (24), qui a enregistré un score historiquement bas dans l’IPC 2021, plus de 100 personnes puissantes ont été citées comme ayant utilisé des sociétés anonymes pour acheter des propriétés d’une valeur totale de 350 millions de livres sterling au seul Royaume-Uni. L’enquête des Panama Papers et les fichiers FinCEN avaient déjà révélé l’existence de transactions secrètes entre les détenteurs du pouvoir au Nigéria. L’inaction face aux divulgations passées a a créé un sentiment d’impunité, enrayant les progrès de la lutte contre la corruption dans le pays.
Fin 2021, les enquêtes Congo Hold-Up ont créé une véritable onde de choc dans la République démocratique du Congo (19). Des personnes appartenant au cercle intime de l’ancien président Joseph Kabila auraient détourné des fonds de la banque centrale du Congo, d’une entreprise minière contrôlée par l’État et de l’administration fiscale, entre autres. Des documents ont été fuités aux journalistes depuis une filiale en RDC du groupe BGFIBank basé au Gabon (31) – une banque privée qui aurait été utilisée pour déplacer au moins 138 millions de dollars entre 2013 et 2018.
De nouvelles révélations de journalistes d’investigation montrent un tableau plus complet de la kleptocratie en Guinée équatoriale (17). Le ministre du Pétrole Gabriel Mbega Obiang Lima – fils du président Teodoro Obiang – aurait siphonné des millions de fonds publics et des pots-de-vin vers l’étranger. Justice a été rendue dans le cas d’un autre membre de la famille Obiang, le tristement célèbre Vice-Président Teodorin Obiang, qui a été définitivement condamné pour corruption en France. Cette décision historique dans un procès intenté par Transparency International France et Sherpa a également confirmé la décision de confisquer les biens d’Obiang tenus en France, d’une valeur d’environ 150 millions d’euros.
L’ancien président de l’Afrique du Sud (44), Jacob Zuma, est l’un des rares chefs d’État à avoir fait l’objet d’accusations de corruption dans son propre pays. Des mesures positives ont été prises pour dénoncer et éliminer la corruption de haut niveau, à l’instar de la commission d’enquête sur la « capture de l’État », connue sous le nom de commission Zondo. Pourtant, l’affaiblissement des organes chargés de l’application de la loi et des poursuites judiciaires, qui ont été vidés de leur substance pendant les années de capture de l’État, a contribué à l’érosion de la confiance du public dans le fait que les fonctionnaires corrompus seront tenus redevables.
La démocratie en péril, les libertés civiles attaquées
Selon les dernières enquêtes d’Afrobaromètre, une majorité de personnes dans la région pensent que la corruption est en hausse et expriment leur mécontentement quant au fonctionnement de la démocratie.
Cela n’a rien d’étonnant : la corruption persistante est allée de pair avec des changements de pouvoir anticonstitutionnels dans plusieurs parties du continent. Ailleurs, les gouvernements ont imposé des restrictions disproportionnées aux libertés civiles– souvent sous couvert de contenir la pandémie de COVID-19, limitant la capacité des populations à demander des comptes au pouvoir.
Dans l’Indice de démocratie de 2020, l’Afrique subsaharienne a enregistré son plus mauvais score moyen depuis 2006, principalement en raison d’une baisse des scores des pays pour les libertés civiles. La répression s’est poursuivie en 2021, les gouvernements ayant utilisé la pandémie de COVID-19 et les conflits armés comme prétexte pour renforcer la répression des droits.
Le Mali (29) a enregistré un déclin significatif dans l’IPC (35 en 2015), qui s’est accompagné d’une baisse de son score pour les libertés civiles. Le pays traverse des crises politique, institutionnelle et sécuritaire émaillées de trois coups d’État militaires depuis 2012. Le conflit armé en cours empêche l’État d’assurer ses fonctions clés, créant un cercle vicieux de corruption et de violations de droits humains.
Et si l’Éthiopie (39) affiche une nette progression (partant de 33) depuis 2012, son recul en matière de libertés civiles menace d’annuler tous les progrès antérieurs. Le gouvernement a utilisé le conflit armé en cours dans la région du Tigré comme prétexte pour faire taire les voix indépendantes. En 2021, les autorités ont fermé un média populaire et indépendant et arrêté des dizaines de journalistes suite à leur couverture de la guerre civile.
Comment rompre le cycle
Les résultats de l’IPC 2021 devraient servir de sonnette d’alarme aux sociétés de l’Afrique subsaharienne. L’ampleur des défis posés par la corruption exige des réponses plus audacieuses que jamais.
Des progrès durables en matière de lutte contre la corruption ne peuvent être réalisés que si les contrôles sociétaux et institutionnels du pouvoir sont assurés. Les gouvernements doivent de toute urgence revenir sur les restrictions disproportionnées imposées aux libertés civiles et cesser d’utiliser la pandémie de COVID-19 ou les conflits en cours comme prétexte pour étouffer la dissidence.
De plus, lorsque des allégations d’abus surviennent, les agences de lutte contre la corruption et les institutions judiciaires doivent demander des comptes – peu importe le pouvoir dont disposent les coupables.
COMMENT LES PAYS LES MIEUX NOTÉS PEUVENT-ILS SOUTENIR LES EFFORTS DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE ?