Madagascar / Grâce aux taxes, les communes subsistent

Madagascar / Grâce aux taxes, les communes subsistent

Budget participatif, recouvrement des taxes, les communes, rurales surtout, ne cessent de déployer des efforts pour trouver les ressources nécessaires à leur fonctionnement. Et le travail paie, mais n’est pas suffisant. Si la plupart arrivent à s’affranchir de l’État central pour les dépenses obligatoires, investir dans le développement reste, pour l’heure, au second plan.
Faire avec les moyens du bord. C’est ce à quoi les communes sont, semble-t-il, obligées à se résoudre. Les acceptions modernes et basées sur les principes de la décentralisation placent pourtant ce niveau des collectivités locales décentralisées (CTD) comme base et levier du développement. Elles sont à même de concrétiser un développement local qui a des impacts directs sur la population.
Avec des subventions au rabais et débitées au compte-gouttes, les communes misent essentiellement sur les taxes pour surmonter les insuffisances financières. Lors d’un voyage de presse organisé en mars par le Projet de développement communal inclusif et décentralisation (Prodecid), l’on a constaté que les communes, rurales surtout, misent sur la bonne gouvernance et la participation citoyenne aux prises de décisions afin d’optimiser le recouvrement des taxes. Le projet est mis en œuvre par la coopération allemande par le biais de la GIZ, dans les régions Alaotra-Mangoro, Atsinanana et Analanjirofo.
« La transparence est la seule manière de convaincre les contribuables à payer les taxes », soutient Eva Ravaloriaka, maire de la commune rurale de Manjakandriana. Un argument partagé par tous les élus locaux rencontrés durant le voyage de presse. Le périple organisé par Prodecid a conduit les journalistes à visiter six collectivités dotées de quelques particularités.

Le tarif des prestations et le montant des taxes sont affichés devant la caisse de la commune rurale d'Antsampanana.Le tarif des prestations et le montant des taxes sont affichés devant la caisse de la commune rurale d’Antsampanana.

Redevabilité
« La redevabilité est la règle. Lorsque les habitants sentent que leur contribution est utilisée à bon escient et qu’ils bénéficient d’une bonne qualité de service, il est facile de les convaincre de contribuer », ajoute Jean Mickaël Razafindramosa, maire de la commune rurale suburbaine de Toamasina. Outre les ristournes sur les produits d’exploitation comme le bois à Manjankadriana, ou le marché à Antsampanana, ou encore les produits agricoles et d’élevage dans toutes les communes visitées, les taxes sur les propriétés bâties et les taxes foncières sont les principales rentrées de fonds des collectivités.
« Comme les subventions ne suffisent pas et leur décaissement tardif, la commune tourne essentiellement grâce aux taxes », affirme Alexis Ralisimanana, maire de la commune rurale d’Ampasina-Maningory, dans la région Analanjirofo. « L’État est aussi en difficulté, nous sommes dans l’impératif de miser sur nos ressources propres. L’objectif est qu’au final, nous soyons autonomes », soutient Tody Andriamaharo Lalatiana Jaona, maire de la commune rurale de Foulpointe.
« Bien que l’autonomie des communes soit l’idéal, les subventions étatiques demeurent encore nécessaires, tout au moins pour couvrir les charges obligatoires. La majorité des taxes collectées est utilisée pour couvrir les dépenses incontournables. C’est comme si le maire travaille juste pour payer les salaires des employés de la commune. Impossible d’investir dans ces conditions », déplore Eugène Rahavana, maire d’Antsampanana. Cette CTD de la région Atsinanana figure notamment parmi les communes nouvellement créées.

Antsampanana constitue une nouvelle commune qui a eu la chance d'avoir des locaux neufs à sa disposition.

Antsampanana constitue une nouvelle commune qui a eu la chance d’avoir des locaux neufs à sa disposition.

 
Les mauvaises habitudes compliquent le recouvrement
« Contrairement aux habitants des grandes villes, les gens paient des impôts dans les zones rurales. C’est une manière pour eux d’affirmer qu’un bien leur appartient, particulièrement, s’il s’agit de propriétés foncières », indiquent la plupart des maires des communes visitées. Comme l’affirme Désiré Razanamaro, maire de la commune rurale d’Ampasimadinika dans la région Atsinanana, « durant quelques années, la population a été habituée à ne pas payer de taxes. Aussi nous a-t-il fallu batailler pour convaincre nos administrés à le faire. Le taux de recouvrement n’est pas encore au niveau recherché, mais au moins, chacun prend conscience qu’il est nécessaire de payer les taxes afin que la commune puisse travailler ».
Pour la commune rurale de Foulpointe, par exemple, le taux de recouvrement est de 35%. Afin d’y remédier, « un système pour faciliter les déclarations d’impôt et les paiements a été mis en place », explique le premier magistrat de la ville. En tant que station balnéaire, Foulpointe regorge de lieux de villégiature et de restaurants. Leurs propriétaires n’habitent pas dans la ville. Un modèle de déclaration d’impôt en ligne a ainsi été installé. Un système de paiement par mobile banking est aussi envisagé.
« Les gens hésitent à payer des taxes s’ils ne savent pas comment ils sont utilisés et quels en sont les résultats », concède Jean Mickaël Razafindramosa. Ce dernier, à l’instar de la majorité de ses pairs rencontrés durant le voyage de presse organisé par la GIZ, dans le cadre du Prodecid, mise ainsi sur la redevabilité et la transparence. Le budget participatif est la méthode privilégiée. Pour la commune rurale de Toamasina suburbaine, un système d’information et de célérité des services communaux a été établi.

En milieu rural, les citoyens sont plus disposés à s’acquitter de leurs obligations civiques que ceux des communes urbaines.

En milieu rural, les citoyens sont plus disposésà s’acquitter de leurs obligations civiques que ceux des communes urbaines.

Confusion légale
Certaines grosses sociétés occupent des milliers d’hectares. « Rien qu’avec les impôts fonciers que nous doivent ces grosses sociétés, nous serons pleinement autonomes et pourrons faire de nombreux investissements », indique  Noelison Randriamahadera dans la commune rurale d’Ambohibary. Interviewé sur le manque de compétence des communes, Gabriel Andriatsiferana Randriamangamalala, secrétaire général de la région Atsinanana, concède lui aussi que les CTD ne peuvent pas exiger le paiement des taxes.
À l’entendre, les régions souffrent aussi du même problème. « Dans une certaine mesure, le pouvoir des régions et des communes sont les mêmes. Étant une CTD, la région  ne peut pas non plus exiger des contribuables le paiement des taxes, notamment les grandes entreprises. La seule chose qu’elle peut faire, consiste à interpeller », déplore le responsable régional. Une intervention de l’État central s’avère donc nécessaire pour faire plier les gros contribuables. Le non paiement touche également, les redevances minières.
Selon les explications de la source proche de la grande société minière contactée, il existe aussi une situation causée par une confusion dans les modalités de paiement des ristournes minières. « L’État central souhaite que les redevances lui soient versées et que ce soit lui qui le partage aux collectivités. Un point que doit clarifier le nouveau code minier car, en principe, une part des redevances doivent être allouées directement aux CTD », explique-t-elle.

Les taxes sur les produits agricoles et les tickets de place au marché sont une des principales ressources des communes visitées.

Les taxes sur les produits agricoles et les tickets de place au marché sont une des principales ressources des communes visitées.

Atout des jeunes
Malgré les difficultés, les maires essaient tant bien que mal de faire tourner leurs communes respectives. Durant le voyage dans les régions Alaotra-Mangoro, Atsinanana et Analanjirofo, le dynamisme et l’ouverture d’esprit des jeunes maires ont attiré l’attention. Les habitants d’Ampasina-Maningory et de Foulpointe ont élu de jeunes intellectuels pour diriger leur circonscription. De nouveaux venus dans le monde de la politique qui ont su séduire leurs concitoyens et dépasser les vieux briscards. Le maire Alexis Ralisimanana est diplômé en philosophie et Lalaina Jaona Tody Andriamaharo, son homologue de Foulpointe, est juriste.
« Je suis un enfant de la commune. Ce sont les électeurs qui ont souhaité avoir un jeune à la mairie et m’ont poussé à être candidat. Comme je suis jeune et que j’ai réalisé un parcours universitaire, j’apporte une nouvelle vision dans la conduite des affaires communales. Je suis également ouvert d’esprit. C’est pourquoi je ne ferme pas la porte au dialogue et je suis favorable au partage d’expériences, surtout avec mes prédécesseurs et les anciens de la ville. Etre ouvert d’esprit signifie aussi qu’il y a toujours quelque chose à apprendre », explique le maire Ralisimanana. Le maire Andriamaharo, quant à lui, indique que sa décision d’être maire vient d’une prise de conscience de ce qu’il peut apporter à sa commune, étant lui aussi, un enfant de la localité.

Le marché des produits locaux d'Antsampanana.

Le marché des produits locaux d’Antsampanana.

Compétences insuffisantes
Durant les visites faites dans les communes des régions Alaotra-Mangoro, Atsinanana et Analanjirofo, une phrase a été fréquemment entendue : « Les communes n’ont pas de pouvoir, notamment pour exiger des gros contribuables qu’ils se soumettent à leurs obligations civiques, en particulier au paiement des taxes. » C’est ainsi, par exemple, que des collectivités comme Ambohibary dans la région Alaotra-Mangoro, ou Ampasimadinika dans la région Atsinanana, où de grandes sociétés minières et des sociétés d’État opèrent depuis plusieurs années, ne peuvent pas « exiger » d’elles le paiement des taxes foncières.
« Ce n’est pas que nous ne voulons pas payer de taxe, mais la loi sur les grands investissements miniers indique que nous ne sommes pas concernés par les impôts fonciers sur les propriétés bâties (IFPB), durant nos cinq premières années d’activité. Souvent, les communes l’ignorent ou ne le comprennent pas », explique une source proche d’une grande société d’exploitation minière. Elle ajoute que celle-ci a toujours payé les impôts fonciers (IF). D’autres, pourtant, n’ont jamais payé d’IF malgré des dizaines d’années d’exploitation.
« Les communes doivent avoir les pleins pouvoirs dans les domaines qui les concernent comme la fiscalité communale. Le rôle de l’État central devrait se résumer à surveiller la légalité des actes de la collectivité », soutient Alexis Ralisimanana, maire de la commune rurale d’Ampasina-Maningory, dans la région Analanjirofo. « Les communes doivent avoir davantage de pouvoir, sinon tout ce qui se dit en matière de décentralisation n’est que pure théorie », conclut le maire de Foulpointe.

Le siège de la commune rurale d'Ampasimadinika a grandement besoin d'être rénové.

Le siège de la commune rurale d’Ampasimadinika a grandement besoin d’être rénové.

Coopération
Outre les subventions, la plupart des communes visitées durant le voyage de presse ne peuvent pas, se passer, pour l’instant, de la coopération avec les organisations internationales et les bailleurs de fonds. Une collaboration des acteurs internationaux est nécessaire pour compenser le manque voire l’absence d’investissement dans les projets de développement, notamment les projets d’infrastructures. Dans ce sens, les œuvres sociales de certaines grandes entreprises sont d’une grande aide pour les collectivités communales. Ces appuis s’inscrivent, en général, dans le cadre d’un programme concernant un domaine déterminé et ne coïncident pas avec certains besoins urgents des collectivités.
« Mais ces réalisations par le biais de la coopération ne suffisent pas non plus. »
De bonnes pratiques
« Tout comme la bonne gouvernance, la proximité et l’accessibilité sont également la règle. La redevabilité implique que les administrés reçoivent les meilleurs services de la part de la commune », affirme le premier responsable de la commune suburbaine de Toamasina. De bonnes pratiques qui pourraient en inspirer d’autres, ont été constatées dans les collectivités visitées durant le voyage de presse organisé par la GIZ dans le cadre de Prodecid.
Dans la commune suburbaine de Toamasina, par exemple, un système à la chaîne est mis en œuvre pour assurer une prestation et la célérité dans les services administratifs fournis aux administrés. « Ce système favorise aussi la transparence et permet d’éviter les corruptions », explique le maire Razafindramosa. Presque toutes les communes visitées misent effectivement sur la proximité et l’implication de la population dans l’élaboration des programmes d’investissement et de développement, afin de les encourager dans le paiement des taxes.
« Lorsque mes administrés demandent à me rencontrer, je ne peux pas et ne doits pas refuser, car comme il s’agit d’une commune rurale, certains viennent de loin pour me faire part de ce qui se passe chez eux. Ce n’est pas forcément une doléance, certains veulent juste échanger pour connaître la situation de la commune », déclare le maire de Toamasina suburbaine. Dans ce sens, Eva Ravaloriaka, maire de Manjakandriana, ajoute que « périodiquement, je fais des descentes dans les fokontany, plus particulièrement les plus reculées de la commune, pour m’enquérir des besoins de mes administrés ».
Textes et photos : Garry Fabrice Ranaivoson

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