La participation au cœur de la gouvernance locale. Point de vue de Parfait Randrianitovina

Parfait Randrianitovina est Directeur Adjoint du projet Développement communal inclusif et décentralisation mené par la GIZ (Coopération Allemande pour le Développement) à Madagascar. Il est aussi membre du Réseau des Praticiens du Développement. Il a développé une expertise de terrain sur la gouvernance locale en travaillant pendant plus de 15 ans comme expert gouvernance locale pour la Coopération Suisse à Madagascar et au Mali à Sikasso.

Bonjour Parfait. Tu as travaillé pendant 15 ans comme expert en gouvernance locale. Quelle est ta définition de la gouvernance locale ?

Pour moi la gouvernance locale se mesure par la capacité des acteurs locaux à se doter de systèmes de représentations, d’institutions, de processus, de corps sociaux, qui sont certes différents mais connectés, pour se gérer elles-mêmes dans un mouvement volontaire.

La gouvernance locale concerne le processus de prise de décisions des mesures à prendre et des moyens à mobiliser pour la promotion du développement local et de la mise en œuvre de ces décisions.

Au niveau local les citoyens et leurs institutions ont la capacité de se doter des différents outils pour que les processus et les projets soient acceptés par tous, suscitent la confiance, et donc fonctionnent. Pour cela la gouvernance locale s’articule autour de 5 piliers : transparence/ redevabilité, participation, efficacité/efficience, inclusion/ équité, état de droit.

Si la participation n’est que l’un de ces piliers, il est clair que plus on implique les citoyens et les différents acteurs dans les processus de décision, plus il y a des chances qu’ils suivent dans la mise en œuvre. Il doit donc y avoir un mécanisme de consultation avant la prise de décision mais aussi après la décision pour le suivi. Le but est d’utiliser les ressources du territoire de manière optimale, dans le respect du droit, et qu’à la fin, les citoyens soient satisfaits des services délivrés.

Pourquoi des organisations, et notamment la Coopération Suisse ou Allemande, mettent en place des programmes sur la gouvernance locale ? En quoi c’est important ?

En Suisse et en Allemagne, la gouvernance locale est très importante. En Suisse le pouvoir se joue dans les communes et les cantons. Le régime présidentiel fort n’existe pas. C’est un peu la même chose en Allemagne avec les Länder (divisions administratives) dans lesquelles la répartition des pouvoirs se joue. L’État central joue surtout un rôle fort pour les enjeux internationaux et la représentation.

A Madagascar et au Mali, on a un système de gouvernance où la hiérarchie dans l’administration publique est forte et le Président puissant, mais le pays est faible. La constitution permet au Président de tout gérer, sans avoir besoin de consulter les citoyens. La politique de décentralisation appliquée depuis 25 ans n’est pas encore achevée : à Madagascar, seule la commune est opérationnelle.

Il manque la volonté politique, mais aussi les ressources et les compétences qualifiées et c’est pour cela que ces organisations s’investissent pour promouvoir le développement local à travers l’amélioration du niveau de la gouvernance.

Concrètement, quelles sont les briques à mettre en place pour améliorer la gouvernance locale ? Sur quels aspects se penche un programme comme SAHA, ou MATOY ?

On travaille sur 4 aspects :

  • D’abord les finances locales car si les ressources en manquent, le système ne fonctionne pas. On étudie tout ce qui est mobilisable au niveau local : impôts locaux, partenariat local, apports bénéficiaires, la commune est la base mais les acteurs locaux sont concernés ;
  • On travaille spécifiquement avec le secteur privé et les acteurs économiques, qui vont amorcer le développement économique local. On essaie de faire en sorte que les conditions cadres leur soient favorables : accès aux crédits, accès au foncier, transport urbain, sécurité publique, assainissement de la vie, marchés structurés, ….
  • On travaille ensuite sur la délivrance de services de base. Cela va de pair avec le paiement des impôts : si les services de bases ne sont pas satisfaisants, les citoyens ne comprennent pas pourquoi on continue à payer les impôts ;
  • Enfin, on renforce les institutions, que ce soit les CT, les organisations de la société civile, l’administration publique. On travaille sur la coopération locale entre ces entités mais aussi la coopération verticale car souvent au niveau local on n’a pas la main sur tout, les compétences sont partagées (par exemple, la commune gère les écoles primaires publiques, la Région gère les lycées, le Ministère sectoriel gère les enseignants, le calendrier scolaire et le contenu pédagogique…).

Pour suivre l’évolution de la qualité de la gouvernance locale, nous avons développé l’outil « indice de gouvernance locale (IGL) » qui propose pour chaque critère un score de 0 à 10 et qu’on fait chaque année pour permettre aux communes de disposer d’un plan d’action d’amélioration de la gouvernance locale.

L’IGL est une série de questions détaillées sur la gestion communale en lien avec les piliers de la gouvernance locale. Il s’agit de vérifier s’il y a une bonne application des valeurs et principes de la gouvernance. Par exemple est-ce que le budget communal est affiché, communiqué aux citoyens ? Est-ce qu’un mécanisme d’accès aux informations est disponible ? Est-ce que les procédures et les conditions d’accès aux services sont affichées ? Est-ce que la commune applique le standard de service ? Etc…

A quelle échelle met-on en place la gouvernance locale ?

Pour moi on est dans une logique de gouvernance locale quand les citoyens peuvent participer individuellement et directement dans les affaires publiques. Donc c’est au niveau de la base, des communes.

Au niveau d’une Région il s’agit de la gouvernance territoriale, avec une représentation informelle des habitants comme par exemple les organisations de la société civile. Au niveau national, on est plus dans la représentation élective, donc de la gouvernance politique. Il faut d’ailleurs aussi considérer aujourd’hui la gouvernance internationale, avec par exemple des pays qui mettent en commun des ressources pour travailler sur un enjeu. C’est le cas de la Commission Océan Indien (dont fait partie Madagascar) pour mieux protéger les ressources de la mer (économie bleue), ou de l’UE avec comme enjeux la gestion des migrations ou de la monnaie unique.

Tous ces systèmes sont utiles, mais tous ne permettent pas l’implication des citoyens.

Est-ce que les actions d’amélioration de la gouvernance locale diffèrent beaucoup selon les pays ?

Le système ne change pas mais l’implémentation dépend de la culture, de l’histoire, et aussi je crois du niveau de développement et des expériences de participation citoyenne du territoire. Ce n’est pas pareil de travailler avec des citoyens comme au Brésil qui ont une plus grande habitude de redevabilité, qu’à Madagascar où le système était plus monarchique, où les gens n’osent pas poser des questions ni de participer de façon volontaire dans la gestion des affaires publiques. Ce qui signifie que les piliers sont le standard mais la priorité d’actions change d’un Pays à un autre. Avec une commune qui a des ressources financières, c’est le travail lié à l’efficience qui prime, alors qu’avec une commune « pauvre », il va sans doute falloir travailler d’abord sur la mobilisation des ressources.

On parle parfois de gouvernance locale inclusive, ou de participation. Qu’est-ce qui se cache derrière ces mots. A qui demande-t-on de participer et pourquoi ?

En fait gouvernance locale, c’est le terme générique qui englobe les autres. Parfois on rajoute « inclusive », ou « démocratique » car on n’a pas assez insisté sur ce point, qu’on veut travailler spécifiquement sur un aspect. Mais normalement, tous ces aspects sont inclus dans la gouvernance locale.

La participation est l’un des piliers. C’est sans doute celui sur lequel on a le moins d’expérience et sans participation, l’abus de confiance dans l’utilisation des deniers publics est accentué ; les citoyens n’ont pas toujours la force et capacité de contrôler leurs dirigeants, de dénoncer des élus corrompus.

Les élus ne perdent-ils pas de leur légitimité et leur rôle lorsqu’ils doivent partager les clés du camion avec d’autres acteurs ?

Les élus restent les décideurs dans la plupart des cas. Mais en dialoguant avec les citoyens, ils sont à la recherche des informations pour bâtir les arguments. Cela leur permet d’asseoir une décision pertinente qu’ils peuvent argumenter et défendre. Je dirais à ce titre que le travail du politicien est à 80% dans l’écoute des citoyens.

Les citoyens donnent leurs avis, influencent les décisions mais au final, ce sont les élus qui prennent les décisions. Il faut échanger dialoguer convaincre, négocier car si on fonce sans considérer les intérêts d’une minorité, il y a des chances qu’on en paye le prix.

Les habitants peuvent-ils vraiment participer à la gouvernance locale lorsqu’ils sont préoccupés par leur situation quotidienne ?

En fait, les gens vraiment concernés se prononcent. Le cas de l’aéroport Notre Dame des Landes en France, c’est exactement ça : ceux qui se sentent le plus concernés, automatiquement ils vont aller mener les débats, récolter des informations. D’autres pour qui avoir un aéroport ou une forêt ne change pas la vie ou qui n’ont pas le temps de s’impliquer vont simplement s’informer et peut-être donner leur avis quand on leur demandera.

La participation reste une invitation. Ceux qui ne veulent pas aller plus loin font confiance aux autres. Ceux qui le peuvent vont aussi répondre à des questions consultations. Si les intérêts sont là, les citoyens participent aussi aux réunions et débats publics. Les plus investis vont contrôler l’élaboration du budget et sa mise en œuvre.

Est-ce que les nouvelles technologies ont modifié les dispositifs de gouvernance locale à Madagascar, notamment la relation institutions / citoyens ?

Je dirais que pour nous c’est le nouveau défi. Nous avons identifié qu’il est temps de valoriser les technologies de l’information et de la communication pour permettre aux collectivités d’être plus efficaces en terme de délivrance de services. La vérité c’est que tout le monde a un smartphone ou un cellulaire. Désormais au bureau communal on a les moyens d’envoyer aux citoyens des informations et de leur demander de réagir. Avec l’e-gouvernance, on peut rendre plus intelligente la gestion des affaires publiques, ce qui impliquera de pouvoir centraliser l’information dont les citoyens peuvent avoir besoin et de leur permettre d’y chercher les informations.

J’en profite pour parler du deuxième défi ou changement récent pour la gouvernance : les ODD. On a la chance d’avoir les ODD pour cristalliser des enjeux mondiaux ; on considère maintenant le monde comme un village. On veut gérer ensemble des ressources et je pense que c’est une chance au niveau local. La commune peut non seulement travailler à l’allocation et l’utilisation des ressources au niveau local, mais aussi prétendre de contribuer à l’atteinte des ODD. Je dirais donc que ces objectifs communs facilitent le développement d’activités pertinentes au niveau local et devraient contribuer à améliorer la gouvernance locale un peu partout.

On rattache de plus en plus les problèmes de citoyenneté à des problèmes de gouvernance. Qu’en penses-tu ?

La plupart du temps, comme on ne peut pas satisfaire tout le monde on prend des décisions qui respectent la règle de la majorité. Évidemment, les minorités ne restent pas les mains vides. Elles secouent le cocotier. C’est évident que les personnes ou groupes qui ont été mis à l’écart se radicalisent. Les décisions qui ne satisfont pas tout le monde, c’est le risque de la vie en société aussi.

Là où il faut faire attention c’est à mieux intégrer l’avis des groupes minoritaires, non pas pour qu’ils prennent le pouvoir, mais pour qu’ils aient un espace. A l’île Maurice par exemple on garde un nombre de députés pour les minorités pour faire valoir leur voix – 5/90 députés viennent des groupes minoritaires. L’autre solution, c’est l’alternance ; les mandats sont là pour laisser régulièrement la place à d’autres idées. Cela permet de gérer la frustration, en se disant que les choses peuvent changer, ce qui n’est pas le cas sous la dictature. Au niveau local, on a aussi ces deux leviers pour permettre une meilleure gouvernance.

Finalement, quelle est la place de l’agent de développement local dans ces systèmes de gouvernance locale ?

Ils sont au cœur de toute cette question.

D’abord, pour sensibiliser. Au départ les gens ne savent pas de quoi il s’agit : « la participation, mais ça veut dire quoi, que dois-je faire ? ». Il est nécessaire de pouvoir animer des échanges sur les questions d’intérêt public : pourquoi la vie de la cité me concerne, pourquoi l’avis des habitants aura un impact sur la vie de ma commune etc.

Ensuite, pour renforcer, lorsqu’ils le peuvent. Dans des communes où les compétences sont faibles, il peut être important de travailler sur la maitrise ouvrage local, l’élaboration budget communal, la mise en place de services publics efficaces. Tout cela contribuera à la bonne gouvernance.

Les agents de développement local ont aussi un rôle de facilitateurs. Il n’est en général pas facile d’intégrer des intérêts particuliers dans un intérêt commun : les agents de développement doivent pouvoir gérer les conflits et faire en sorte que les gens coopèrent entre eux.

Et puis dernier point, même si ça dépasse parfois le champ de compétences ou la liberté d’action des agents locaux, il est important de renforcer la capacité de négociation de la collectivité de base. La compétence des communes étant limitée, il faut qu’elle soit en mesure de demander à la Région, à l’État de répondre à ses questions et à ses préoccupations. Ici ce n’est pas toujours une dynamique de dialogue qui est en jeu mais c’est plus de rapport de force, avec une négociation difficile, une stratégie de lobbying…

J’imagine qu’il y a beaucoup d’expériences capitalisables à ce sujet au sein du Réseau des Praticiens du Développement.

Levea a Reply

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