Tunisie : un pas supplémentaire pour la démocratie
Tunisie : un pas supplémentaire pour la démocratie
Initialement prévues le 17 décembre 2017 puis reportées à la demande des partis politiques au pouvoir en raison de contraintes techniques et d’un manque de consultation entre mouvements politiques, les élections municipales tunisiennes d’aujourd’hui constitueront le quatrième scrutin organisé en Tunisie depuis la fin du régime à parti unique de Ben Ali. Après les élections de l’assemblée constituante de 2011, les législatives de 2014 puis les deux tours des présidentielles de la même année, toutes saluées pour leur crédibilité et leur transparence par la communauté internationale, les élections municipales viendront consolider un processus de transition démocratique déjà bien amorcé à l’échelle nationale, qui attend maintenant d’être ancré au niveau local.
Une consolidation du processus de transition démocratique
Ces élections municipales revêtent un caractère d’autant plus important, au vu des enjeux multiples qui les entourent, qu’elles constituent un tournant majeur dans la gestion des affaires publiques et la vie démocratique de ce pays. D’abord pour la consolidation du processus de transition démocratique tunisien et la reconstruction de l’architecture institutionnelle de ce pays mais surtout parce qu’elles interviennent dans un contexte marqué par de grandes difficultés économiques et sociales pour la Tunisie qui avaient été parmi les causes profondes des soulèvements de 2010.
Ces élections serviront donc de test pour savoir si les nouvelles municipalités, qui seront maintenant dotées de pouvoirs plus élargis après des décennies d’hypercentralisation de la gestion des affaires locales, pourront répondre aux défis du développement local en tenant compte des spécificités régionales. Cela dépendra aussi de la composition du personnel élu.
Ces élections municipales peuvent-être considérées comme celles où les citoyens tunisiens auront, en théorie, l’opportunité d’avoir une prise sur la gestion des affaires publiques. À l’issue des soulèvements de décembre 2010, les communes tunisiennes ont été dissoutes pour être remplacées par des « délégations spéciales » chargées de gérer les affaires courantes mais sans grande efficacité ni pouvoir de décision. Cela faisait suite à des décennies d’un pouvoir local hyper centralisé sous le régime dictatorial, où la capitale décidait de la moindre opération au niveau local sans tenir compte des spécificités de chaque région.
Plus de décentralisation et de démocratie participative
La Constitution tunisienne de 2014 vise à mettre un terme à cette situation en consacrant, d’une part, les principes de décentralisation du pouvoir et de démocratie participative dans la vie politique locale, et en plaçant, d’autre part, la question du développement local et l’atténuation des disparités régionales au cœur des préoccupations de la gouvernance publique locale.
Ainsi en matière de décentralisation et de démocratie participative, le Code des collectivités locales tunisien donne la possibilité aux citoyens d’être consultés par référendum sur les programmes de développement et d’aménagement du territoire de leurs collectivités locales tout en redéfinissant les capacités de décisions entre autorités centrale et locales.
Au chapitre du développement, ce Code donne la priorité au développement local et à la justice sociale et prévoit aussi un principe de solidarité entre régions basé sur la discrimination positive dans le but d’améliorer la répartition des fonds publics pour atténuer les disparités régionales et améliorer les conditions de vie des habitants. Enfin, ce Code prévoit aussi le renforcement des performances des collectivités locales puisque celles-ci pourront coopérer avec les institutions de l’enseignement supérieur pour former le personnel élu et les agents administratifs des communes. Voilà qui devrait en théorie contribuer à l’amélioration des conditions de vie des Tunisiens dont la situation sociale et économique s’est grandement détérioré depuis 2010.
Un contexte économique et social difficile
Les moteurs de la croissance sous l’ancien régime, qu’étaient le tourisme, le textile, le phosphate et les industries mécaniques et électriques ont été gravement atteints par les troubles politiques d’après 2010 puisque la situation économique n’a cessé de se dégrader depuis. Le rapport du FMI de mai 2016 sur la situation économique en Tunisie notait une faible activité économique avec une stagnation du PIB à 2%, un fort taux de chômage de près de 30% chez les jeunes, un pouvoir d’achat érodé dû à une inflation en hausse à 6%, une dette publique atteignant les 70% du PIB ainsi qu’un déficit commercial très important. À cela s’est ajoutée une situation sécuritaire des plus instables avec des attaques terroristes à répétition qui ont aussi quelque peu découragé d’autres investisseurs étrangers à venir dans le pays.
Sur le plan social, la Tunisie a été secouée par de fréquentes contestations sociales, comme celle intervenue entre fin 2017 et début 2018 après l’adoption par l’Assemblée des représentants du peuple, de la Loi de finance 2018 prévoyant une hausse de la TVA et des taxes supplémentaires sur des produits de première nécessité. Au niveau local, les Tunisiens sont tout aussi éprouvés par une forte détérioration de la voirie publique, la prolifération des constructions anarchiques, une forte dégradation des infrastructures et des services publics tels que le ramassage des ordures ou la distribution de l’eau, de l’électricité et du gaz devenus aléatoires.
Certains observateurs estiment que ces difficultés de la vie quotidienne ont fini par démobiliser les Tunisiens et ne s’attendent pas à un taux de participation très élevé de leur part à ces élections municipales. D’autant plus que, toujours selon les observateurs, les Tunisiens se demandent si ces élections apporteront quelque chose de nouveau au vu de la composition des listes électorales dont près de 40% des candidats ont été recrutés parmi le personnel de l’ancien parti unique, le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD).
Compositions des listes électorales : tout changer pour ne rien changer ?
Bien qu’il ait un temps été question d’interdire à tous ceux ayant exercé des responsabilités au sein du défunt parti unique, le RCD dissout en 2011, de participer à des élections, cette mesure a finalement été annulée en raison du manque de personnel politique qualifié au lendemain du changement de régime. Cela a permis à des milliers de cadres de l’ex-RCD, près de 40% des 57.000 candidats en lice, de figurer sur les listes électorales. La crainte est donc de voir les anciennes pratiques du régime à parti unique refaire surface, surtout que ces cadres ont été recrutés parmi les grandes familles et notabilités locales, qui n’ont pas beaucoup changé, selon Michael Ayari chercheur à l’International Crisis Group (ICG).
Cependant, l’espoir de voir un renouvellement du personnel politique au niveau local demeure. L’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) chargée de l’organisation des élections a annoncé le 23 février 2018 que près de 52,10 % des candidats sont âgés de moins de 35 ans et 23,83 % ont entre 36 et 45 ans. De plus, 49,3 % des candidats sont des femmes, même si 69,67 % des têtes de listes sont des hommes et seulement 30,33 % des femmes. Du point de vue de la composante partisane des 2.074 listes, 1 055 d’entre elles sont issues de partis, 860 sont indépendantes et 159 sont le fruit de coalitions. Cependant les observateurs, notent que les deux principaux partis politiques tunisiens, Nidaa Tounès, le parti du président Béji Caïd Essebsi et Ennahdha, d’obédience islamiste, pourraient remporter la majorité des municipalités étant les seuls à avoir pu présenter des listes dans toutes les villes du pays. À cela s’ajoute le fait que certaines listes indépendantes sans étiquette soient soupçonnées d’être affiliées officieusement à l’un ou l’autre des deux grands partis tunisiens, ce qui risque de faire de ces élections une simple formalité.
Mais quel que soit le taux de participation, la composante des listes électorales ou les formations vainqueurs des élections, une chose demeure certaine, les enjeux resteront les mêmes : dépasser la crise de gouvernance que vit le pays et amorcer un développement plus inclusif et plus équitable. Les futures municipalités feront face à de très grandes attentes. Des attentes à la mesure des espoirs nés au lendemain de la révolution.
Source tsa-algerie.com