Corruption en Afrique, le grand défi
La lutte contre la corruption est l’un des défis majeurs qui se pose aux pays africains. Directeur exécutif d’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA, partenaire du Monde Afrique), Abdul Tejan Cole livre sa thérapie dans cet entretien où il évoque également les efforts entrepris par les pays africains pour consolider un modèle démocratique original.
Comment est-ce que la démocratie s’installe en Afrique ?
Abdul Tejan Cole A la suite des difficultés rencontrées par la plupart des régimes politiques autoritaires, installés dans presque tous les pays africains aux lendemains des indépendances, des constitutions établissant des cadres légaux et institutionnels dignes des démocraties libérales ont été adoptées un peu partout en Afrique.
La libéralisation politique et l’adoption de la démocratie libérale, avec l’institution de nouvelles constitutions, ont eu lieu dans un contexte de grande pression à la fois de l’intérieur et de l’extérieur des pays africains entre la fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix. Il faut reconnaître que très souvent les rédacteurs des constitutions de ces nouvelles démocraties, faisant partie de ladite troisième vague de démocratisation, se sont inspirés des constitutions des anciennes puissances coloniales.
Ceci dit, il est important d’insister sur le fait qu’aucune des démocraties contemporaines n’a inventé de but en blanc son propre cadre institutionnel. Elles se sont toutes inspirées d’autres régimes politiques tout en prenant en compte les spécificités de leurs peuples.
Quels sont les obstacles et succès que rencontre la démocratie ?
Les succès sont nombreux. Les élections sont, par exemple, devenues le principal mécanisme de sélection des chefs d’États africains. La qualité de la gestion des élections s’améliore même si beaucoup reste à faire. Ce n’est pas un hasard si ces dernières années plusieurs élections se sont conclues sans contestations, les perdants félicitant même les vainqueurs, comme au Nigeria, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Cap-Vert, etc. Les citoyens sont de plus en plus conscients de leurs droits et de la nécessité de contrôler les gouvernants. Le printemps arabe, mais aussi ce qui s’est passé au Burkina Faso, au Congo Brazzaville et ce qui se passe au Burundi et en RDC sont la preuve palpable de l’amélioration de la sensibilisation des citoyens.
Au-delà de ces réussites, les obstacles restent nombreux. Comment faire en sorte que les élections ne soient pas simplement un moyen de sélectionner un dirigeant dans un pays, mais une occasion pour les citoyens d’influencer les politiques publiques, de contribuer à la transformation de leurs pays ? Comment faire en sorte que les institutions de contrôle contribuent effectivement à la reddition des comptes par les gouvernants et à veiller à ce que la voix des citoyens soit entendue et prise en compte ? Voici quelques-unes des principales difficultés auxquels demeurent confrontées les nouvelles démocraties africaines.
Pour atteindre sa maturité, la démocratie a besoin de s’appuyer sur certains leviers notamment la lutte contre la corruption. À votre avis, comment est-ce que cette lutte pourrait être menée ?
S’il y a un front sur lequel la plupart des pays africains sont en difficulté, c’est bien celui de la lutte contre la corruption. Même si nous avons assisté à l’adoption de lois anti-corruption, y compris la ratification des conventions internationales et la création d’organes de lutte contre la corruption, très souvent plusieurs organes ont été créés dans un même pays, le phénomène ne faiblit pas.
Deux pistes sont disponibles. Il s’agit d’abord de veiller à ce que les mécanismes de contrôle horizontal – à savoir le cadre institutionnel de lutte contre la corruption, des lois bien faites et des institutions bien conçues disposant des moyens nécessaires à mener à bien leurs missions, les institutions de contre-pouvoir au premier rang desquels se trouve le Parlement, etc. – fonctionnent bien. Ensuite, veiller à ce que les mécanismes de contrôle vertical, à savoir les demandes des citoyens, des OSC, des médias, etc. fonctionnent également bien.
A titre d’exemples, comment la démocratie peut-elle être un facteur de paix et de croissance ?
Il est préférable de séparer la réponse à cette question en deux volets : liens entre la démocratie et la paix d’une part et entre la démocratie et la croissance/développement de l’autre. La démocratie, surtout lorsqu’elle est mise en œuvre dans le cadre de l’État de droit, contribue à la paix, et cela se voit en Afrique. Il y a juste quelques décennies, la seule façon de gouverner était par la violence, la seule façon d’accéder au pouvoir était par la violence, la plupart du temps par des coups d’État militaires. Même si, comme il est dit ci-dessus, nous sommes encore loin des rivages des démocraties consolidées, il y a de plus en plus d’alternances sans effusion de sang.
Lire aussi : Sénégal : « Saluons l’audace du chemin parcouru contre la corruption ! »
En ce qui concerne le lien entre la démocratie et la croissance, je ne suis pas sûr qu’il soit juste d’évaluer les nouvelles démocraties africaines sur cette base. La question de l’influence du régime politique sur le développement reste en suspens et les résultats empiriques ne sont pas pour aider non plus. L’Afrique ne diffère pas de ce point de vue des autres régions du Monde. Cependant, nous connaissons beaucoup de nouvelles démocraties qui se sont assez bien débrouillées au cours des dernières années c’est le cas au Ghana, Maurice, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud, etc.
Est ce qu’il y a une démocratie africaine qui a ses caractéristiques propres ?
Il est nécessaire d’être clair sur un point : il faut dissocier l’idéal démocratique, à savoir le gouvernement par le peuple. Il est, toutefois, impératif que les outils, les cadres juridiques et institutionnels par exemple, utilisés pour mettre en œuvre la démocratie, soient adaptés au contexte.
Sur ce second plan, il y a beaucoup d’innovations à l’œuvre en Afrique même si la plupart du temps elles ne retiennent pas l’attention. L’île Maurice tente, par exemple, un dispositif institutionnel de partage du pouvoir qui semble bien fonctionner jusqu’à présent, la Cour constitutionnelle au Bénin n’est pas l’imitation d’un modèle directement tiré d’une démocratie établie. Elle a été établie sur la base des leçons tirées de l’historique politique béninoise. Le modèle de la séparation des Pouvoirs au Ghana, qui se situe entre le système parlementaire de Westminster et un système présidentiel proche de celui de Washington, est également relativement unique.
Cela dit, n’exagérons pas l’importance des institutions formelles et ce qu’on pourrait appeler les démocraties africaines. La Constitution du Japon a été écrite, totalement écrite d’ailleurs, par des militaires américains et britanniques juste après la seconde guerre mondiale. Le régime politique est donc à mi-chemin entre les systèmes politiques américains et britanniques. Même si cette constitution n’a pas une seule fois été modifiée depuis son adoption, le Japon ne se débrouille pas si mal que ça.
L’Afrique doit-elle inventer une nouvelle forme de démocratie avec une meilleure prise en compte du compromis ; de l’écoute d’une parole minoritaire… ?
Pour autant que je sache, aucun pays, même les anciennes démocraties, n’a inventé de toutes pièces sa propre démocratie. Il est, cependant, nécessaire pour les pays africains d’accroître leur compréhension des spécificités majeures de leurs contextes et d’essayer autant que possible de les prendre en compte lors de la conception de leurs cadres institutionnels et légaux. Puisque des facteurs tels que la culture, les valeurs, les croyances, etc. peuvent être importantes dans la conception des institutions politiques, on devrait facilement comprendre que l’Afrique doive inventer quelques-unes des institutions dont elle a besoin pour un bon fonctionnement de la démocratie.
Est-ce qu’on peut dire que le « mimétisme » des démocraties occidentales peut être une des raisons des difficultés de la démocratisation ?
Je dirais non, car en plus de l’exemple du Japon que je viens de donner, le point de départ n’est pas vraiment le plus important. Sinon, on pourrait croire qu’une fois la constitution adoptée à un moment donné dans un pays, le destin politique dudit pays est scellé à jamais, ce qui n’est pas vrai. Ce qui compte, c’est la capacité d’apprendre du fonctionnement du cadre institutionnel et d’apporter des corrections aux faiblesses au fur et à mesure qu’elles s’observent.
La question qui se pose donc est : pourquoi est-ce que la plupart du temps en Afrique, nous préférons ne modifier que les dispositions sur la limitation des mandats [pour les allonger] au lieu d’utiliser les amendements constitutionnels pour consolider nos nouvelles démocraties ?
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/07/21/corruption-le-grand-defi_4972893_3212.html#KagLRV2Bt1IEZIvG.99